Thomas Fersen : le bel accident de parcours

Thomas Fersen, de retour en mode explosif et festif. Photo courtoisie/Mathieu Zazzo

Anecdote: quand j’ai écouté pour la première fois la copie promotionnelle de Thomas Fersen & the Ginger Accident, j’ai fait rejouer en boucle les deux premières chansons (Donne-moi un petit baiser, Mais oui Mesdames) trois ou quatre fois avant de passer au troisième titre. Séduit d’emblée, dites-vous?

Par Philippe Rezzonico

Au-delà de l’explosion pop, des descentes de cordes et des mélodies imparables, j’avais surtout l’impression de retrouver le Fersen qui m’avait charmé il y a deux décennies avec ses chansons ludiques.

À l’arrivée, j’ai probablement été aussi étonné à l’écoute du nouveau disque de Fersen paru cette semaine qu’il ne l’a été lui-même quand il a entendu le groupe The Ginger Accident, geste qui a complètement modifié l’approche de cette nouvelle offrande.

Car le disque officiellement disponible depuis mardi, ressemble peu à ce qu’il devait être, du moins, au plan des arrangements. Fersen avait essentiellement complété son disque à venir quand il a entendu une chanson d’un groupe nommé The Ginger Accident lors d’un passage à Villefranche-sur-Saône, où il se produisait au théâtre.

« J’avais presque terminé l’album. Presque tout était déjà enregistré, assure Fersen, joint en France. Quand j’ai entendu Ginger Accident, j’ai senti qu’il fallait que je refasse tout. C’était un peu dur, mais ça semblait nécessaire. »

Donc, acte. Fersen envoie à Cédric de La Chapelle (le leader de Ginger Accident) une partie de son travail et ce dernier ne met pas de temps pour lui renvoyer des maquettes serties d’arrangements pimpants et colorés.

« J’ai envoyé quatre chansons à Cédric et quand il me les a renvoyées, j’ai compris que j’avais pris la bonne décision. D’ailleurs, depuis que le disque est lancé, tout le monde me parle de renouveau ou de quelque chose du genre. Ça fait plaisir.

« Le son, le choix des arrangements, l’énergie… Tout m’a séduit chez ce groupe, même si mes maquettes avaient aussi de l’énergie. »

Plus rock que pop

Fersen avait enrobé ses nouvelles compositions d’arrangements plus rock que pop, quoique un rock antérieur à la pop des années 1960.

« On avait enregistré sur une base piano, basse, batterie. Là, au final, il n’y a plus de piano. C’était un piano très années 1950, un peu comme Fats Domino. »

On dévore donc et on savoure ce nouvel opus de Fersen à satiété.

Pop, yé-yé et chanson française

Donne-moi un petit baiser, avec son groove irrésistible, ses claviers incisifs, ses cuivres et ses chœurs, a des fortes affinités avec Nino Ferrer enregistrement public (1966), quand l’ami Nino s’était isolé dans un château transformé en hôtel près de Dijon pour faire la boum.

Mais oui Mesdames, sur laquelle Fersen parle de femmes et de désir, a droit à des passages somptueux de cordes qui pourraient figurer sur des titres de France Gall (Poupée de cire, poupée de son, Nous ne sommes pas des anges) première période.

On sifflote la mélodie des Pingouins des îles dès la première écoute, on se dit que la pimpante Mes compétences se décline sur des couleurs musicales qui évoquent vaguement Le roi des fourmis, de Michel Polnareff, alors que la musique de La boxe à l’anglo-saxonne pourrait avoir été couchée sur n’importe quelle trame sonore de film de la fin des « sixties ».

En dépit de l’apport majeur du Ginger Accident (Cédric de La Chapelle s’est chargé de la réalisation), cet album demeure foncièrement un disque de Thomas Fersen tant sa plume demeure distinctive, et ce, peu importe l’enrobage sonore.

Dans Joe-la-classe, par exemple, Fersen ramène le personnage de Deux pieds, personnage, inspiré par des situations vécues.

« Joe-la-classe qui rentre dans le magasin, bien sûr, ça m’est déjà arrivé. Le curé de Qui est ce baigneur?, c’est une amie qui avait vu un type se comporter comme ça. Il y a aussi des chansons inspirées d’un événement précis, comme Viens mon Michel qui est partie d’une réflexion de Fred Fortin lors d’une tournée il y a quelques années. Ça, c’est du pur Fred. »

Et on sait que Les femmes préfèrent est obligatoirement une chanson de Fersen, même si on lisait le texte sans entendre sa voix ou la musique. Qui d’autre peut amorcer une chanson par « Les femmes que j’ai assassinées, avec moi sont mortes d’ennui » ?

Vingt ans de carrière

Mine de rien, Le bal des oiseaux, le premier disque de Fersen, a 20 ans cette année. Deux décennies de ce que l’on peut maintenant désigner comme étant une carrière. Comment expliquer cette longévité pour un artiste qui, il faut avouer, n’a jamais joué je jeu du tube, outre l’indéniable qualité du corpus et l’aspect intemporel de ses chansons?

« Je ne sais pas, dit Fersen. Il y a toujours un texte enfantin, le plaisir de jouer de la musique et le fait de donner vie à des personnages dans une chambre, comme le ferait un enfant. Sur cet aspect, le plaisir est intact et j’ai l’impression que les gens sentent que j’ai cet appétit pour la vie. »

Sans surprise, Fersen prévoit son prochain passage au Québec en février, un mois qu’il a souvent privilégié pour ses tournées québécoises (il adore l’hiver). Et quand il reviendra, il pourra vraiment célébrer 20 années de partage avec son fidèle public québécois.

« La première fois que je suis venu, c’était en novembre 1993. Les FrancoFolies de Montréal avaient alors lieu à cette date. J’avais joué à Paris et le lendemain soir je jouais à Montréal. »

Même si la tournée qu’il l’amènera au Québec en 2014 sera celle du disque Thomas Fersen & the Ginger Accident, elle aura peut-être un petit air de tournée de 20e anniversaire. L’enrobage des nouvelles chansons, après tout, s’avère idéal pour ressortir des boules à mites certains classiques mis au rancart depuis des lustres.

« En effet, admet Fersen, spontanément. Il y a des chansons que les gens me les réclament tout le temps, mais que j’avais mis de côté. Ça va être une belle occasion de ressortir quelques-unes d’entre elles. »

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Thomas Fersen, Thomas Fersen & the Ginger Accident (Tôt ou Tard), 4 étoiles