Yann Perreau: Western poésie

La configuration importe peu, Yann Perreau domine toujours la scène. Photo Catherine Lefebvre.

Il n’y a que Yann Perreau – et peut-être Pierre Lapointe – pour réussir un tour de force pareil : nous présenter un spectacle complètement différent à quatre mois d’intervalle qui repose sur les mêmes compositions. Et c’est ce qu’il a fait jeudi lors de la première de sa tournée du disque À genoux dans le désir à La Tulipe.

Par Philippe Rezzonico

Je vous entends d’ici… Vous vous dites : « Il divague, Rezzonico. Comment Yann Perreau peut-il présenter un nouveau spectacle alors qu’il s’agit de sa rentrée montréalaise? » Tout simplement parce que sa rentrée était dans les faits son lancement en octobre.

Dans l’industrie musicale de 2013, rien n’est plus comme avant. Et les appellations contrôlées du genre «rentrée montréalaise» et «premières» sont à prendre avec des pincettes.

À genoux dans le désir, disque de Perreau formé de chansons qui reposent sur les textes du poète Claude Péloquin, est un album studio charpenté sur une instrumentation colossale : piano, guitares acoustique et électrique, batterie, banjo, tambourin, flûte traversière, saxophone ténor et baryton, trompette, trombone, cor français Wurlitzer, violon, violoncelle, programmation, échantillonnages, piccolo, triangle et j’en passe…

C’est exactement ce que Yann nous a proposé lors de deux spectacles-lancements au Club Soda en octobre. Il avait alors joué l’intégralité du disque avec une quinzaine de musiciens et il avait ajouté une dizaine de ses classiques.

Si vous vouliez entendre À genoux dans le désir comme il a été créé, il fallait voir ces shows-là. Parions qu’on aura de nouveau droit à une version similaire de ce spectacle de 2012 dans un festival à Montréal ou Québec sous peu.

Power trio

Entretemps, pour les besoins de sa tournée 2013, Perreau voyage léger, uniquement accompagné de Sarah Bourdon – qui s’acquitte de la première partie – et de Jean-Alexandre Beaudoin.

Il a donc été obligé de réarranger considérablement les arrangements de ses chansons et de ses anciens titres. Le résultat n’en était pas moins stupéfiant, parce Perreau arrive constamment à tout mettre à sa main.

L’artiste nous a livré un spectacle hybride qui se situait quelque part entre son solo Perreau et la lune et ses tournées rock. En fait, ça ressemblait surtout à ses spectacles du temps de Western Romance.

Yann Perreau, enfin à la batterie. Photo Catherine Lefebvre.

Coiffé de son chapeau plat qui lui confère une dégaine à la Jack White, installé derrière une batterie, assis à son piano, ou arpentant la scène avec son magnétisme incomparable, Perreau nous a offert sa western poésie.

Filles d’automne baignait dans les influences tex-mex comme si la chanson serait issue d’un film de Tarantino, avec Yann qui hurlait avec les loups derrière le paravent de toile placé au fond de la scène. Le cœur a des dents était mordante (excusez le jeu de mots facile), tandis que Le Marin était presque menaçante.

Histoire de faire un clin d’œil aux poètes américains, Perreau s’est servi du vieux succès de Bündock, American Singer – que je n’avais pas entendu sur scène depuis deux décennies – afin de mettre la table pour Beau comme on s’aime. Yann frappait sur ses peaux comme un déchaîné. Effet bœuf.

La rythmique galopait ferme durant Merci la vie, avec une douzaine de femmes et de jeunes filles qui dansaient le long du mur de La Tulipe, côté jardin.

On ne peut se passer de Yann-le-danseur durant un spectacle. Il fallait le voir de déhancher lors de Vertigo de toi et s’offrir quelque chose qui s’apparentait à une version contemporaine de la danse lascive quand lui et Sarah Bourdon se font frottés à n’en plus finir durant La goutte.

Cette tournée risque d'être en constante évolution. Photo Catherine Lefebvre.

Bien sûr, Perreau peut être émouvant quand il interprète Invente une langue pour mieux me nommer – qui a pris une autre signification depuis la mort de son père – et La chanson la moins finie, qui s’est conclue sur un crescendo piano-guitares.

Et il y a le Yann complètement inclassable. Jeudi, c’était durant Conduis-moi.

Résumons : verre de Ricard à la main, rebaptisant ses musiciens Sandrine et Marcel, évoquant les cours prénataux – sa blonde attend un enfant – et s’exprimant avec un accent Marseillais digne de Pagnol, Perreau a livré une chanson reposant sur l’accordéon, le banjo… et les airs d’opéra de Sarah, sa Castafiore d’un moment. Inclassable, on vous dit.

Il en a fait du chemin, l’ami Yann, depuis son premier spectacle lors de la vente-trottoir de Berthierville, alors qu’il avait 11 ans. Nous avons d’ailleurs vu les images de sa première prestation sur écran.

On n’ose même pas imaginer dans quelle direction aura évolué ce spectacle dans quelques mois. Une troisième mouture? Avec Yann Perreau, tout est possible.