Il y a 50 ans, un géant disparaissait

 

John ColtraneIl y a 50 ans , le 17 juillet 1967 disparaissait John Coltrane. Il était âgé d’à peine 40 ans. Un crabe l’avait pincé trop fort, jetant dans le deuil et le désarroi toute une génération de musiciens.

Par François Vézina

Son pouvoir gravitationnel était si puissant que peu de musiciens (pour ne pas parler que des saxophonistes) ont pu échapper à son attraction.

Né en Caroline du Nord, celui qui devait faire reculer les frontières du jazz au cours des années 1960 débuta timidement sa carrière au sein des grandes formations de Eddie Vinson, Dizzy Gillespie et de Johnny Hodges sans y laisser au passage des souvenirs impérissables.

Il prit véritablement son envol en se joignant au premier grand quintette de Miles Davis avec lequel il participa à la légendaire session de Kind of Blues. Un bref séjour chez Monk contribua à solidifier son discours. Peu après, il rencontra Eric Dolphy qui lui fit découvrir les musiques des continents africains et asiatiques, réelles sources d’inspiration pour lui.

Ses enregistrements pour Atlantic et, surtout, pour Impulse! contribueront à sa légende. Il passera alors du statut de jeune musicien doué à celui de phare d’une génération, forçant ses collègues musiciens à se renouveler.

Brillant technicien, tant au ténor qu’au soprano, sa musique est un long cri de révolte et d’amour. Il lance, sur des tempos infernaux, des véritables nappes de sons incantatoires, tournant, tel un aigle près de sa proie, autour de la mélodie et des accords, libérant la musique des carcans harmoniques habituels. Son influence demeure immense sur tous les musiciens qui l’ont suivi.

Voici, en albums, un bref résumé de son parcours

Outre les albums déjà chroniqués à l’époque de mon top-50.

Duke Ellington & John Coltrane

https://www.ruerezzonico.com/le-top-50-de-frank-40-laristocrate-et-le-mystique/

My Favorite Things

https://www.ruerezzonico.com/le-top-50-de-frank-14-les-melodies-du-bonheur/#more-6513

Live at the Villague Vanguard

https://www.ruerezzonico.com/le-top-50-de-frank-4-le-laboratoire-de-coltrane/

A Love Supreme

https://www.ruerezzonico.com/le-top-50-de-frank-17-laction-de-graces/#more-6417

Miles Davis: ‘Round About Midnight (1955-1956)

Avant de voir si ses ailes de géant lui permettraient de voler, John Coltrane a été membre du premier fabuleux quintette de Miles Davis. Tout au long de l’album, le contraste entre le jeu feutré du trompettiste, déjà passé maître dans le dépouillement d’une mélodie, et le son plus tranché du volubile saxophoniste, encore un peu timide, alimente un feu qui ne s’éteindra qu’à la dernière note. La pièce-titre est un pur chef-d’oeuvre. Le magnifique contrepoint entre Miles et John Coltrane (st) est aussi un petit bijou d’intelligence musicale (Ah-Leu-La).

John Coltrane: Blue Train (1957)

Tout timide, Coltrane, qui n’était à l’époque qu’un jeune hard-boppeur doué, n’a pas osé intituler son disque «Blue Trane», son seul en tant que leader pour Blue Note. Entouré par de jeunes musiciens tous très talentueux, dont Lee Morgan (tp), Curtis Fuller (tb) et Kenny Drew (p), et de ses collègues de quintette de Miles Davis, Paul Chambers (cb) et Philly Joe Jones (batt), Coltrane se lance avec une fougue débridée dans une musique enlevante à souhait. Le saxophoniste, qui avait déjà trouvé son «son», demeure encore très respectueux des conventions musicales de l’époque. La pièce-titre est bien digne des grands morceaux du catalogue Blue Note. Flamboyant.

Thelonious Monk: Theloninous Monk Quartet with John Coltrane at Carnegie Hall (1957)

Entre deux passages chez Miles Davis, Coltrane a accompagné un autre génial géant de la musique du 20e siècle: Thelonious Monk. Le saxophoniste a toujours rendu grâce au pianiste pour l’avoir grandement aidé à devenir plus mature, à développer son discours, tant sur le plan harmonique que mélodique. Cet enregistrement a dormi dans les archives du Congrès jusqu’à sa découverte en 2005. On y entend un saxophoniste fort respectueux de son leader, tentant de s’émanciper des structures conventionnelles, se lançant dans de longs solos sans se préoccuper du nombre de mesures (sacrilège!), renouvelant Evidence, Epistrophy et autre Bye-ya, caressant Monk’s Mood ou Crepuscule with Nellie. Le musicien continue de grandir, il n’en a pas encore fini de sa croissance.

John Coltrane: Giant Steps (1959)

D’entrée de jeu, Coltrane démontre qu’il a un «pas de géant» d’avance devant la majorité de ses confrères. Il change les accords à un rythme infernal que suivent avec peine ses accompagnateurs (Giant Steps). Moment historique, le saxophoniste, qui sait aussi se faire tendre, comme nous le prouve Naïma, une pièce dédiée à sa première épouse, est à la croisée des chemins. S’il veut évoluer, il devra se défaire des conventions harmoniques classiques et engager un groupe de musiciens partageant ses conceptions musicales qui pourront l’accompagner pendant un bon bout de chemin.

John Coltrane: The Complete Africa Brass Session (1960)

Premiers enregistrements chez Impulse! Ils sont doublement importants parce que Coltrane a choisi pour l’occasion d’être accompagné par une grande formation dont font partie deux brillants trompettistes de la relève, Booker Little et Freddie Hubarrd, et deux hommes de Sun Ra, Pat Patrick (sb) et Julian Priester (eu). Aiguillé par Eric Dolphy, autre rencontre importante dans la vie du saxophoniste, Coltrane, qui vient de découvrir la musique ethnique, se lance dans un «World Beat» avant la lettre. Les arrangements touffus de Dolphy et Tyner, un lascar qui prend de plus en plus d’importance, permettent à Coltrane d’improviser sauvagement et divinement. On peut à peine déplorer que Trane, qui tente de refaire le coup de My Favorite Things avec la folklorique Greensleeves, soit parfois à la recherche d’une formule magique

John Coltrane: Coltrane (1962)

Le début des années 1960 est vraiment une période faste pour Coltrane. Cet album, moins célèbre que d’autres, n’en demeure pas moins important, le quatuor classique (Coltrane, Tyner, Jones et Garrison) ayant alors rarement enregistré en studio. Longue pièce envoûtante (Out of this World), ballade mélancolique (la très belle Soul Eyes, de Mal Waldron), sans oublier, bien sûr, le standard bousculé par le sax soprano (The Inch Worm) et deux compositions du maître, dont un hommage à son ancien mentor Miles Davis, Miles’ Mode. La routine habituelle, mais quelle routine!

John Coltrane: Live at Birdland (1963)

Difficile de choisir parmi les nombreux enregistrements en concert du quatuor classique de John Coltrane. La formation poursuit ici sa folle envolée vers les sommets de son art. Le leader du groupe n’hésite pas à donner de l’espace à ces musiciens, sachant qu’ils pourront tirer les marrons du feu. Tyner en profite pour méduser les spectateurs éberlués présents au Birdland. «Trane», lui-même, est en pleine forme. Il est toujours aussi bouleversant, que cela soit dans ses évocations de l’Afrique (Afro-Blue), du sud raciste des Etats-Unis (Alabama) ou de l’être aimé (I Want to Talk about You).

John Coltrane: Crescent (1964)

Pour une rare fois, Coltrane, qui a mis de côté son soprano, n’enregistre que des thèmes originaux qu’il a lui-même composés. Est-ce la raison pour laquelle cet album, empreint d’une grande tristesse, semble si sombre? Le saxophoniste fait preuve d’un grand sens mélodique (Crescent, Wise One, qui est sans doute l’une des pièces les plus mélancoliques du répertoire coltranien, Bessie’s Blues). Quant aux trois autres membres du quatuor, ils accompagnent magistralement leur patron. Splendide solo de contrebasse de Garrison (Lonnie’s Lament).

John Coltrane: Ascension (1965)

Ascension ou descente aux enfers ? Entouré d’une bande de jeunes loups new-yorkais dont Archie Shepp (st), Marion Brown (sa), Pharoah Sanders (st) et Freddie Hubbard (tp), Coltrane, comme l’avait fait avant lui Ornette Coleman, fait éclater les structures du jazz. C’est, on l’a déjà écrit, la grand-messe du free jazz, presque son deuxième manifeste après le fameux Free Jazz d’Ornette Coleman. Tous tentent d’égaler le maître dans la démesure. Certains, comme Hubbard et les inévitables Tyner et Jones, s’en tirent mieux que d’autres. Coltrane, lui, demeure au-dessus de la mêlée. Épuisant.

John Coltrane: Stellar Region (1967)

Cinq mois avant sa mort, Coltrane était toujours le maître du free. Ayant fait table rase des structures contraignantes, du tempo régulier et de la tonalité rigide, le saxophoniste, aidé par son épouse Alice (p), le toujours fidèle Garrison (cb) et Rashed Ali (dm), se lance dans des improvisations totalement libres. Contrairement aux longues séances marathons avec Pharoah Sanders, Coltrane semble ici mieux contrôler sa fureur. Les improvisations, empreintes d’une étrange majesté, sont plus courtes, plus concises (était-ce à cause de sa santé déclinante?)