Du Métropolis au Stade de France, en passant par les plaines d’Abraham ou le Zénith de Paris, un constat demeure : quand Indochine met le pied au plancher, le groupe français provoque un incendie et une onde de choc qui rivalisent avec n’importe quel groupe anglo-saxon.
Par Philippe Rezzonico
Nous avons encore pu le vérifier vendredi soir quand la bande à Nicola Sirkis a mis les pieds pour la toute première fois dans un Centre Bell qui a semblé bien grand, durant quelques minutes. Mais comme d’habitude, la bande à Nico l’a royalement emporté à l’usure.
Bien grand, car une foule d’environ 5500 spectateurs dans un Centre Bell qui peut en accueillir le triple, c’est bien peu à comparer avec les 6293 personnes qui occupent les 6293 places disponibles dans le Zénith de Paris, comme ce fut le cas en février 2012 pour l’un des deux spectacles anniversaires des 10 ans de l’album Paradize.
Certes, Montréal n’est pas la France pour Indochine, même si les fans Montréalais sont parmi les plus bruyants qui soient. Mais le constat est quand même décevant. Plus de 30 ans après leur naissance et après avoir été le seul groupe français de l’histoire à se payer le stade de France en 2010 (ce qu’ils feront de nouveau en 2014, à St-Denis), les gars d’Indochine ont attiré en un soir au Centre Bell essentiellement le même nombre de spectateurs que pour le doublé au Métropolis en 2006, date de leur dernier passage dans la métropole.
Même dans le Centre Bell où l’on avait avancé la scène, l’entrée en matière a été un peu timide. Il est vrai qu’Indochine a amorcé la soirée avec plusieurs titres (cinq sur les sept premières chansons) de Black City Parade sur lequel repose sa tournée et que ce disque a encore peu de résonance dans nos oreilles.
Bonne interprétation de la chanson-titre avec des images de gratte-ciels en arrière-plan, solide livraison de Traffic Girl avec une animation d’une policière nippone et feu d’artifices de couleurs sur l’écran durant l’offrande de Belfast.
Si la structure de scène était alléchante pour l’œil, on n’en voyait guère toutes les possibilités, d’autant plus que l’écran géant – qui n’était qu’une toile – faisait un peu amateur en regard des écrans LED que presque tous les groupes trimbalent de nos jours en tournée. Je ne saisissais pas…
Jeu de lumières hors pair
J’ai compris dès les premières notes du classique Punishment Park, quand le rideau est tombé pour dévoiler l’un des plus efficaces jeu de lumières jamais vu. Des colonnes entières de « spots » en demi-cercle qui appuyaient les rythmiques des chansons comme on l’a rarement vu dans n’importe quel show.
C’est d’ailleurs durant Punishment Park que j’ai réalisé que l’on allait devoir vivre jusqu’à la fin du spectacle avec une sono déficiente. Depuis Paradize, le son d’Indochine est devenu plus lourd, plus hard, plus trash. En spectacle, les basses archi-lourdes font parfois de l’ombre aux guitares, sinon aux claviers. Ça varie d’une chanson à l’autre. Et ça n’a cessé de varier tout au long de la soirée.
Sirkis a encore une fois solide voix qui est à l’avant-plan lors des titres plus intimistes, mais on le perd souvent dans le magma sonore lors de l’interprétation des refrains de certains hymnes d’Indochine.
Cela a toutefois peu d’importance quand la frénésie bat son comble. Le doublé formé de Little Dolls et de sa rythmique robuste fut la parfaite rampe de lancement pour Miss Paramount où les faisceaux de lumière étaient en parfait synchronisme avec la mesure battue par les fans et les « Wooo!!! » d’usage. Du tonnerre.
Un barrage de décibels qui s’est amenuisé le temps de la portion calme – mais pas acoustique – du spectacle avec Wuppertal, J’ai demandé à la lune et Tes yeux noirs. Les deux dernières ont été interprétées par des milliers de spectateurs, au point que Sirkis, toujours visiblement ému quand il joue à Montréal, s’est dit « impressionné par vous! ».
La tolérance
Impressionné et reconnaissant de l’accueil des Québécois au clip de College Boy, réalisé par Xavier Dolan.
« En France, il y a des gens pas très tolérants, à l’inverse de vous. » Sirkis a salué Dolan qui était présent et Indochine a livré College Boy alors que les images du clip qui vise à dénoncer l’intolérance et l’homophobie se sont succédé en accéléré sur l’écran… à l’envers. Un peu comme si la société pouvait revenir au point de départ, avant les écarts d’intolérance. Très fort.
La dernière heure de prestation, qui avait tout d’une performance, a été l’égal des grandes frénésies vécues dans le passé à Montréal ou en Europe.
Déjà que Alice & June était d’une puissance à décaper la peinture, Indochine a trouvé le moyen de revisiter le passé en le mettant au goût du jour. Ceux qui étaient au Spectrum de Montréal en 2002 se souviendront du long segment perçu comme un pot-pourri métal, où Indochine enchaînait en succession des titres phares (Des fleurs pour Salinger, Canary Bay, Les Tsars, etc.) dans une mouture métalloïde.
Ils ont refait le coup vendredi, cette fois, dans une mouture trash et électro, dans ce qui est désigné pour cette tournée comme étant le Black City Club.
Le délire
La portion instrumentale de Trashmen a d’emblée annoncé la couleur avec son tempo galopant, ses couches de claviers électro et son barrage de lumières tournoyantes. On n’avait plus l’impression de voir Indochine, mais d’assister à un spectacle de Daft Punk.
Sirkis et ses copains ont enchaîné des versions démentielles de Canary Bay, Des fleurs pour Salinger, Paradize, Play Boy et 3e Sexe à une allure frénétique. Du parterre jusqu’en haut des gradins, le Centre Bell s’est transformé en une hallucinante piste de danse où les spectateurs s’égosillaient à chanter les classiques. Un pur délire jouissif à la hauteur des meilleures séquences de spectacles pop ou rock de l’histoire.
C’est là, après une vingtaine de minutes d’euphorie totale, histoire que la foule reprenne son foule, que Sirkis a pris sa guitare et a lancé : «Celle-là, on ne pouvait vraiment pas ne pas la faire ici, au Québec. »
Celle-là, c’était Le fond de l’air est rouge, baignée dans des éclairages rougeâtres, qui faisait évidemment écho au printemps érable québécois 2012 et à ses carrés rouges.
La sixième vitesse
Repus? Certains, auraient dit oui. Mais Indochine a toujours une sixième vitesse en réserve. Après une sortie de quelques instants, les tambours ont résonné au sommet de la scène pour lancer une Marylin d’anthologie, suivie par une 3 nuits par semaine lancée à fond la caisse.
Sirkis a profité d’un pont instrumental étiré au possible – et décalé avec la chanson – pour sauter au parterre et monter dans la 25e rangée de la section 123 pour aller prendre un bain de foule. Indochine s’était offert ce même genre de pont au stade de France en 2010, comme on peut l’entendre sur le disque Putain de stade. Ça n’apporte rien de plus à la chanson, mais ça fait vachement plaisir aux spectateurs.
Terminé? Bien sûr que non. Pour les « vieux » admirateurs, un spectacle d’Indochine comprend obligatoirement L’Aventurier et sa ligne mélodique irrésistible. Une chanson qui fait toujours l’unanimité.
Le monsieur devant moi – à peu près de mon âge – et mon amie Pascale, qui jouait dans le carré de sable quand L’Aventurier a été enregistrée en 1982, dansaient tous deux de façon éperdue. Bob Morane est encore le roi de la Terre, n’en doutez pas.
Indochine a bouclé la bouclé de ce spectacle de deux heures et quart avec Europane ou le dernier bal. Parions que ça ne sera pas le dernier à Montréal. Putain de band, quand même…