Les célébrations de la Fête nationale du Québec sont toujours une source de fierté et de plaisir pour des millions de Québécois. Pour la majorité d’entre eux, le spectacle musical d’importance proposé le soir de la Saint-Jean dans leur région est le point culminant de la journée de festivités.
Par Philippe Rezzonico
D’un point de vue journalistique, la perspective est différente. Et ce, pour quelques raisons. La première, c’est bien sûr la formule plutôt répétitive. Quand tu as couvert deux ou trois spectacles d’importance à Montréal, Québec ou Laval, tu as un peu beaucoup fait le tour du jardin.
De plus, comme l’événement est gratuit, notre boulot devient bien plus un simple compte-rendu, un état des lieux, qu’une critique formelle. Évidemment, si quelqu’un est vraiment pourri sur scène, on va le dire et l’écrire. Sinon, on a tendance à moins chercher des poux à un artiste qui vient célébrer la nation que les Rolling Stones qui demandent 600 $ pour aller les voir au Centre Bell.
Vous remarquez d’ailleurs que dans les quotidiens, ce sont le plus souvent les plus jeunes journalistes – les derniers de cordée – qui se collent à la tâche. En partie pour des raisons d’ancienneté et aussi parce que c’est plus plaisant d’aller faire la fête que d’aller travailler…
Mais s’il y a une vraie de vraie raison pour laquelle les journalistes ne se bousculent guère pour couvrir l’événement, c’est que la part d’inconnu est plus grande que pour une assignation courante. Nous ne retournons pas sur la passerelle d’un aréna que l’on visite trois fois par semaine ou une salle de spectacle familière. Il y a souvent de l’imprévu et des impondérables. Du moins, c’était vrai dans l’autre siècle… En 1999, entre autres, lors du spectacle de la Fête nationale au parc Maisonneuve.
Fort belle affiche cette année-là avec, notamment, Les Colocs, Diane Dufresne, Michel Rivard et Dubmatique. Très intergénérationnel – comme c’est souvent le cas -, mais la présence des Colocs et de Dubmatique amenait des courants musicaux modernes au sein d’un spectacle qui est souvent traditionnel de facture.
Évidemment, le premier problème, c’est de se rendre sur le site. Disons que c’était moins bien balisé en 1999 qu’en 2013… Long, long, la marche avec un sac d’ordinateur qui pèse plus de cinq livres sur l’épaule. Une fois arrivé, il importe de vérifier comment on va transmettre notre texte. Notez que c’était bien avant le wi-fi. Dans ce temps, ça prenait impérativement une ligne téléphonique.
Ce jour-là, les responsables avaient prévu dans une tente une ligne téléphonique intégrée dans une machine qui était à la fois une photocopieuse et une imprimante. Un machin gigantesque qui faisait quand même le boulot. Le test effectué une bonne heure avant le spectacle fut concluant.
Soixante minutes plus tard, coup d’envoi dans la bonne humeur et devant une foule monstre, comme d’habitude. Ça ne fait pas un quart d’heure que le spectacle est amorcé que le photographe qui m’était assigné retraite dans la zone médias.
La première tuile
Il voit tout de suite mon regard interloqué et il me lance d’emblée qu’on vient de le chasser de la zone des photographes. C’était dit en termes beaucoup moins polis, mais vous avez compris le principe.
« C’est quoi, ce bordel! », dis-je. Il m’explique que la dame qui est en charge des médias vient de demander aux photographes des quotidiens montréalais de quitter les lieux pour céder la place à ceux des hebdomadaires, magazines et aux caméras. Pardon! Je rêve, là…
Je ne connaissais pas la dame qui m’avait été présentée 90 minutes plus tôt et dont j’enrage de ne plus me souvenir de son nom au moment où j’écris ces lignes. Elle rapplique dans la zone réservée quelques instants plus tard. Je lui demande –poliment – de quoi il retourne et elle me sert la même réponse que mon collègue vient de me servir.
Alors, je lui explique que les besoins des quotidiens ne sont pas les mêmes que ceux d’autres médias, que nous avons quatre pages à remplir (dont trois de photos), que nous voulons avoir en photo tous les artistes présents, que nous jouons contre l’horloge, contrairement aux hebdomadaires, et que mon collègue – ainsi que les photographes des autres quotidiens – retourne immédiatement à l’avant-scène. Son regard me fait comprendre qu’elle n’avait jamais pensé à ça et qu’elle n’avait vraisemblablement jamais fait ce boulot, mais le mien lui fait comprendre que ce n’est pas négociable. Tout s’est arrangé en un instant.
Le spectacle se déroule bien et nous avons droit à plusieurs collaborations inédites. Pas sûr que ça charme tant que ça le peuple, mais, musicalement, c’est fort intéressant. J’écris avec mon ordinateur sur les jambes et, vers 22h30, je me dis que c’est le temps d’envoyer mon texte, un bon quart d’heure avant la tombée prescrite.
La deuxième tuile
Je retourne sur mes pas et je m’arrête net. La tente vide de 19 heures est maintenant bondée au point que je ne repère même plus la machine qui doit assurer ma survie. Je finis par la repérer, mais elle est désormais derrière une rangée de tables en bois qui ont été installées après mon premier passage. Tables sur lesquelles reposent des dizaines de verres de bières servis par des tas de bénévoles à une foule d’invités.
J’arrive à la hauteur de la machine, mais il est impossible de contourner les tables et on ne peut pas non plus passer par-dessus. Seule solution, je plonge sous les tables et je rampe pour être à la hauteur de la prise où je veux brancher mon fil. Pas évident avec mon tour de taille…
C’est à ce moment que j’entends un cri derrière moi. Sylvain Cormier fait face au même problème, mais mon collègue du Devoir ne peut passer en-dessous en raison de ses quelque 300 livres. Alors, sous les tables qui branlent et avec des coulées de bière qui me tombent dessus, je saisis son ordi, lui demande son numéro de téléphone (en hurlant) et je branche son fil dans la machine.
Les collègues plus âgés se souviendront du bruit bien particulier de ce type de branchement. Un « Tccchhhiiiiiii!!!, suivi d’un « Crriiiccchhhh! », qui précédait le « tu-tu-tu » des numéros composés au téléphone. Et, finalement, le « beeppp » qui confirmait le branchement, qui, dans le cas présent, était de l’ordre de l’orgasme professionnel. Et là, tu composes ton numéro et tu attends que le texte sont transmis en totalité. Une éternité…
Ça marche! Sylvain transmet son texte. Je débranche son fil, je branche le mien et je répète l’opération. Tout ça a pris dix minutes. Je finis par m’extirper du dessous de la table sérieusement courbaturé, mais heureux d’avoir sauvé ma peau. En couverture, peu importe les conditions, tu n’as pas le droit de rater ton heure de tombée. C’est la règle du jeu. Sinon, tu te cherches un autre boulot.
L’ironie, c’est que, une fois de plus, les lecteurs n’ont rien vu le lendemain. Quatre pages bien remplies sans bavures. S’ils savaient…
Le lendemain, justement, je rente plus tardivement au bureau au moment où mon chef de section est au téléphone, debout, les bras en l’air et en servant un sacré savon à quelqu’un au bout du fil.
C’est quand j’ai entendu « Madame, à quoi avez-vous pensé! » que j’ai compris que mon photographe était entré au bureau avant moi et je savais qui était la personne au bout du fil.
Trente moments pour 30 ans (28) : bordel à la Fête nationale
Artistes : Les Colocs, Diane Dufresne, Michel Rivard, Dubmatique
Date : 24 juin 1999
Lieu : Parc Maisonneuve (Montréal)
—
29 – Spectacle pour un homme – presque – seul (2004)
30 – Bagarre au Spectrum (1993)
Les raisons derrière le Trente moments pour 30 ans