Whitney Houston : le culte de la mort, le réflexe du commerçant

Le phénomène n’est pas nouveau, mais chaque fois, il fascine. La disparition prématurée et brutale d’une icône de la musique mène obligatoirement à une sanctification de l’artiste et de l’oeuvre. Whitney Houston ne fait pas exception à la règle depuis quelques jours. Pourquoi ?

Par Philippe Rezzonico

La première fois que j’ai mesuré la chose de visu, c’était à l’adolescence, lors du décès d’Elvis. Au lendemain de sa mort, le16 août 1977, tous les magasins de disques – cette espèce en voie de disparition – alignaient ses albums, 45-tours, cassettes quatre et huit pistes, comme des soldats au défilé.

Au Discus du Carrefour Laval, les présentoirs qui trônaient à l’entrée n’étaient remplis que de disques d’Elvis, comme si nous étions dans un commerce du Sud des Etats-Unis en 1956 ou en 1957. Fallait vraiment chercher Rumours, de Fleetwood Mac, pourtant l’un des disques les plus vendus du moment.

Ce réflexe de commerçant, il s’est vérifié à toutes les décennies après les départs de John Lennon, Marvin Gaye, Kurt Cobain, Michael Jackson et, tout récemment, Amy Winehouse. De nos jours, modernité oblige, se sont les commerces numériques qui sont pris d’assaut quand une vedette comme Whitney nous quitte.

Soit dit en passant, la division britannique de Sony n’a pas bien paru en haussant de près du double le prix de la compilation Ultimate Collection de Whitney Houston quelques minutes après sa mort avant de la rabaisser, comme l’ont rapporté quelques médias.

Sous le radar

Cela dit, j’y reviens : le phénomène est fascinant. Peu importe qui disparaît, peu importe son statut au moment de son départ, je ne m’explique guère cet intérêt parfois démesuré envers son art. Retournons en arrière de quelques jours, si vous le voulez.

Si, jeudi ou vendredi dernier, un collègue de la télévision était descendu dans les rues de Montréal ou de Québec et avait posé la question : « Votre chanteuse préférée de tous les temps, tous pays et genres confondus ? », je vous parie que Whitney Houston n’aurait pas été citée trois fois sur un échantillonnage de 100  personnes. Même à New York, elle n’aurait pas eu dix pour cent des voix. La réalité, c’est que Whitney, la chanteuse, a disparu du radar depuis plus d’une décennie.

Qu’elle revienne à l’avant-plan de l’actualité après avoir été trouvée morte dans son bain est compréhensible. Et la nature même de sa disparition explique les tas de reportages et les images de sa déchéance qui circulent dans le cyberespace. Mais l’achat de disques à un point tel qu’elle est numéro un aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ? Comprends pas.

Fan ou pas ?

De deux choses l’une : où vous êtes un fan de Whitney Houston et vous avez déjà tous les albums et toutes les chansons d’elle que vous voulez, peu importe le support, ou vous n’aimez pas l’artiste et sa musique. Dans ce deuxième cas, aucun intérêt à acheter ses disques, même si elle vient de nous quitter, non ?

Il y aura toujours une jeune génération qui profitera du départ d’une grande pour aller écouter le passé et farcir quelques titres classiques dans son iPhone. On appelle ça le respect de l’histoire. Mais à cette échelle ?

Lundi, sur iTunes, 14 des 20 premières places d’albums les plus vendus étaient ceux de Whitney et 28 de ses chansons figuraient parmi le top 100 à l’unité. Sur Amazon, 10 des 20 premières places étaient occupées par ses albums. Billboard estimait que la compilation de grands succès de Whitney allait s’écouler à 50, 000 exemplaires en une journée. Nous sommes loin de la mise à jour d’un iPhone, n’est-ce pas ? Et attendez que Sony concocte une nouvelle compilation posthume avec une ou deux chansons inédites…

Je ne suis pas sociologue. Je n’ai pas de réponse rationnelle à la question que je posais plus haut, mais une certitude. Tant que la mort va exercer une telle fascination proche du culte sur les vivants, les commerçants ne sont pas près de modifier leurs réflexes.